Dans son dernier article, Edmond Azadian, rédacteur en chef adjoint et principal éditorialiste de l'Armenian Mirror-Spectator déplore l'apathie générale, dans le monde et même dans la communauté arménienne, face à la question du Haut-Karabakh. Il en appelle lui aussi au sursaut et au rassemblement de toutes les forces arméniennes, en Arménie et dans le monde... avec le gouvernement.
"The Armenian Mirror-Spectator" est le plus ancien hebdomadaire arménien de langue anglaise publié aux États-Unis, « au service la communauté arménienne depuis 1932 » comme l'annonce sa devise. D'inspiration libéro-démocrate, proche depuis sa création de la ligne de centre-droit défendue par le Ramgavar, le "Mirror-Spectator" se dit « ouvert à diverses idées et positions, en faisant un forum des plus intéressants pour l'ensemble des opinions et des nouvelles de la communauté ».
Edmond Azadian en est le rédacteur en chef adjoint et son principal éditorialiste. Établi aux Etats-Unis, il est conseiller de la Diaspora au ministère de la Culture en Arménie, membre de l'Académie des Sciences et également membre dirigeant du parti Libéral démocrate arménien, le Ramgavar. Son article, "L'Artsakh tombe alors que le monde hausse les épaules", est paru en anglais le 5 janvier.
« Près d'un mois s'est écoulé depuis le blocus de l'Artsakh par l'Azerbaïdjan, sous les yeux des forces russes de maintien de la paix. Pourtant, on constate une apathie générale dans le monde et même dans la communauté arménienne mondiale - choquante, car le destin de 120 000 Arméniens est en jeu.
Le 31 décembre, le journal The Guardian a publié un résumé des problèmes mondiaux couverts par ses correspondants dans le monde entier et mentionnant les points chauds à surveiller en cette nouvelle année. Il a répertorié plus de 100 conflits dont il convient de s'inquiéter; le blocus de l'Artsakh n'en fait pas partie. Cela démontre bien de quelle priorité relève l'Artsakh sur l'échelle mondiale des crises et permet de comprendre que le monde politique a des crises bien plus urgentes à gérer. Il nous incombe donc exclusivement d'observer la situation et de chercher des solutions, avant que Bakou n'impose sa propre solution et ne dépeuple l'Artsakh.
Les Arméniens se sont rarement comportés avec une telle nonchalance face à une crise. Avons-nous collectivement baissé les bras après avoir été témoins de tant de tragédies continues qui ont peut-être engourdi notre sens des responsabilités ?
Le nouveau ministre d'État de l'Artsakh, Ruben Vardanyan, a déclaré que la population de l'Artsakh avait trois choix : rejoindre l'Azerbaïdjan, partir ou se battre. Il a conclu : « Nous avons choisi de nous battre. » C'est plus facile à dire qu'à faire, car la population emprisonnée de l'enclave peut difficilement assumer seule le fardeau du combat, alors que la population d'Arménie et de la diaspora assiste impuissante à cette lutte.
Comme l'énigme politique de la situation dans et autour de l'Artsakh ne laisse aucune voie politique pour résoudre la crise, il reste l'option d'interventions non conventionnelles.
Pour commencer, la source et la cause de cette apathie est la situation politique chaotique en Arménie et la désintégration du leadership et de l'autorité dans la diaspora. De nombreux experts et analystes arméniens se posent des questions sur la cohérence de la politique du gouvernement pour faire face à la situation, mais il n'y a pas encore eu de réponses convaincantes à cette question.
Dans de tels cas d'urgence nationale, il incombe à toutes les forces de se rallier au gouvernement pour atténuer la situation, mais aucun mouvement de ce type n'est visible sur la scène politique arménienne.
L'opposition se comporte de manière erratique, affirmant toujours que son principal objectif est de renverser le Premier ministre Nikol Pashinyan plutôt que de s'attaquer à la catastrophe imminente de l'Artsakh.
D'autre part, le parti au pouvoir enchaîne les mauvais coups, les erreurs de calcul qui réduisent sa base de pouvoir au lieu de l'élargir. Parmi ces erreurs, citons le harcèlement continu des membres des administrations précédentes, par l'emprisonnement ou la comparution devant les tribunaux, et le travail de sape de l'Église arménienne par des moyens tacites ou ouverts, alors que la Russie et la Géorgie utilisent leurs églises comme des atouts politiques pour soutenir leurs régimes impopulaires.
En bref, le gouvernement arménien ne fait pas tout son possible pour sortir son enclave sœur de la spirale de la mort, au contraire, il essaie toujours de s'en prendre à ses ennemis politiques sur le plan intérieur.
L'Azerbaïdjan continuera à faire pression sur les Arméniens jusqu'à ce qu'il atteigne l'un de ses objectifs immédiats, sans pour autant renoncer à ses objectifs futurs. Lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion des ministres des affaires étrangères à Moscou le 23 décembre, à laquelle le ministre arménien des affaires étrangères Ararat Mirzoyan n'a pas assisté, le ministre azerbaïdjanais des affaires étrangères Jeyhun Bayramov aurait déclaré que le corridor de Lachin est ouvert dans un seul sens - si les Arméniens de l'Artsakh choisissent de partir pour de bon.
En bloquant l'Artsakh, Bakou a ouvertement affiché ses intentions : arracher le "corridor du Zangezur", c'est-à-dire toute une partie du sud de l'Arménie. C'est pourquoi l'un des appels lancés lors du récent rassemblement à Stepanakert était un rappel à l'Arménie de ne pas céder en voulant soulager sa douleur. À défaut d'atteindre son objectif, l'Azerbaïdjan imposera sa volonté à l'Arménie, en établissant un poste de contrôle sur le corridor de Lachin, en collusion avec la Russie. M. Pashinyan avait raison lorsqu'il a déclaré récemment que les forces de maintien de la paix ne contrôlaient plus le couloir de Lachin, car elles ont cédé cette autorité aux pouvoirs de Bakou.
Malgré sa position de faiblesse, l'Arménie a pu rassembler suffisamment de volonté politique pour menacer Moscou d'abandonner l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), qui, au lieu d'être une structure de défense, est devenue une imposture et un handicap pour l'Arménie. On ne sait pas encore combien de points Erevan peut marquer avec l'Occident par cette posture.
L'Arménie ne peut pas non plus placer ses espoirs dans l'impasse entre Bakou et Téhéran, car ce désaccord peut s'avérer temporaire. L'Arménie ne peut pas non plus compter sur l'effroyable perspective de recevoir une base militaire iranienne à Syunik, dont la rumeur disait qu'elle serait installée. Cela pourrait s'avérer désastreux au final, car la Turquie, Israël, l'Azerbaïdjan et l'Arabie saoudite complotent ouvertement pour faire tomber le régime iranien.
La possibilité d'un changement de régime en Iran pourrait également être alimentée par l'administration Biden, qui a renoncé à l'accord nucléaire, et surtout par la montée en puissance de Benjamin Netanyahu en Israël, qui a tendance à lancer des frappes préventives sur les installations nucléaires iraniennes.
Début décembre, nous avons assisté à un débat au Conseil de sécurité des Nations unies. Les politiciens et les analystes ont accordé trop de valeur à ces débats, malgré le fait que la plupart des discours étaient des déclarations génériques et banales, conseillant à l'Arménie et à l'Azerbaïdjan de résoudre leurs différends de manière pacifique, ignorant complètement le fait que la population de l'Artsakh était sur le point de mourir de faim à cause des actions de l'Azerbaïdjan et qu'elle n'a pas le temps d'attendre l'issue douteuse de ces négociations.
D'autre part, il s'agissait d'un avertissement périlleux mais nécessaire à la Russie, selon lequel Erevan pourrait divorcer de l'OTSC. Pour continuer dans cette voie, l'Arménie pourrait cesser d'accueillir la base militaire russe de Gyumri. Par exemple, un "mouvement populaire" semblable aux écologistes azerbaïdjanais peut bloquer cette base jusqu'à ce que les casques bleus russes respectent leurs engagements.
Des actions similaires peuvent avoir lieu dans le monde entier, notamment là où résident d'importantes communautés arméniennes. Des chaînes humaines peuvent bloquer les ambassades d'Azerbaïdjan pour sensibiliser l'opinion publique et activer les médias.
Certains groupes de pression encouragent déjà leurs membres à appeler ou à écrire à leurs sénateurs et représentants aux États-Unis. Cette initiative peut être étendue à de nombreuses autres organisations jusqu'à ce qu'elle ait un impact sur les médias et les législateurs.
De nombreux autres groupes ethniques ou confessionnels ont des griefs contre la Turquie et l'Azerbaïdjan, comme les Grecs et les Kurdes. Il y a quelques semaines à peine, le ministre turc de la défense se vantait ouvertement que son pays pouvait frapper Athènes avec des missiles quand il le voulait. Nous pouvons entrer dans des coalitions et organiser des rassemblements dans les grandes capitales du monde.
L'Azerbaïdjan et la Turquie ont une longueur d'avance sur les Arméniens en ce qui concerne leurs activités de lobbying et leurs relations avec les médias. Nos sources de financement, nos bienfaiteurs et nos groupes de pression doivent pouvoir créer les ressources nécessaires et commencer à faire des vagues.
Avant d'aller trop loin et d'impliquer les autres dans notre détresse et notre combat, nous devons briser cette chaîne d'apathie qui a paralysé nos forces. »
Source : The Armenian Mirror-Spectator