Résoudre l'urgence humanitaire avant d'assurer le retour collectif en Artsakh

Société
21.03.2024

Ils étaient plusieurs centaines d'Artsakhiotes à s'être rassemblés hier après-midi sur la place de la Liberté, devant l'Opera d'Erevan, pour réclamer un réel soutien des autorités à leur intégration en Arménie, mais en même temps, à leur « retour collectif à la patrie ».

Par Olivier Merlet

 

« Si vous voulez que le peuple d'Artsakh reste en Arménie, crée, vive, utilise son potentiel pour servir la République d'Arménie, planifiez un plan réaliste qui garantira une vie digne au peuple d'Artsakh ». Armen Asryan est le président d'une association créée à Stepanakert au lendemain de la guerre des 44 jours pour venir en aide aux proches des soldats morts ou disparus. Les actions qu'il mène désormais à Erevan concernent toutes les familles d'Artsakh dont il s'est fait l'un des porte-paroles, c'est lui qui du haut de l'escalier menant à l'Opéra lisait le texte du manifeste rédigé par le collectif citoyen. Pour lui, le projet de garantie des besoins en logement de la population du Haut-Kharabagh discuté actuellement par le gouvernement ne tient pas compte des réalités du marché et ne répond ni aux besoins, ni à « l'intérêt collectif du peuple d’Artsakh ».  

Le gouvernement a mis en place en octobre dernier un programme d'aide de première urgence sur six mois, attribuant à chaque citoyen déplacé du Kharabagh une allocation mensuelle de 40 000 drams pour subvenir aux frais de logement, plus 10 000 de charges, soit environ 115 euros au total, par personne et par mois. Le dispositif devait s'arrêter fin mars. Selon Anna Zhamakochyan, vice-ministre du Travail et des Affaires sociales, le gouvernement décidera ou non la semaine prochaine de sa prolongation jusque à la fin de cette année. Celui concernant l'accession au logement serait quant à lui toujours en cours d'élaboration, bien que ses lignes directrices semblent tracées : le montant de l'aide à l'achat ou à la construction serait fixé à 3 millions de drams par personne (6 950 euros environ), montant porté à quatre millions dans les agglomérations à investissement prioritaire, voire cinq dans les agglomérations individuelles. Préalable à son obtention, acquérir la citoyenneté de la République d'Arménie, « Car le programme vise à soutenir la vie stable en Arménie des personnes déplacées de force du Haut-Kharabagh », insiste la Ministre.

Le manifeste des citoyens demande que le programme soit mis en place « sans discrimination ni coercition, quels que soient la citoyenneté et l’enregistrement des personnes déplacées de force » et qu'il offre des solutions durables pour leur assurer un emploi stable. Selon certaines ONG opérant dans les provinces de Kotayk et d'Ararat qui accueillent plus de 15 % des réfugiés (38% sont installés dans la capitale), seule une ou deux personnes sur 20 ont trouvé du travail, 12 000 sur les 100 000 qui ont dû fuir le Kharabagh, selon les chiffres officiels. « Maintenant, nous sommes deux personnes, ma femme et moi, nous ne travaillons pas. Ils vont me donner 6 millions, qu'est-ce que je peux avec ces 6 millions ? » a demandé hier un manifestant.

En fait, c'est au « retour collectif à la patrie » qu'ont appelé les responsables du collectif rassemblé hier devant l'Opéra. « Nous exigeons du gouvernement arménien et de la communauté internationale qu'ils mettent en place des mécanismes de protection internationale efficaces pour le droit collectif au retour du peuple d'Artsakh et une vie dans des conditions sûres, dignes et souveraines dans sa patrie historique. Nous les appelons à prendre des mesures actives et pratiques pour attirer les fonds appropriés de la communauté internationale et de la diaspora afin de résoudre les problèmes humanitaires intermédiaires des personnes déplacées de force en Artsakh, avant d'en assurer le retour collectif ».

Certains manifestants ont également affirmé qu'ils étaient prêts à rentrer, « si nous sommes protégés par des soldats de la paix internationaux ». Artak Beglaryan, l'ancien ministre d'État d'Artsakh était lui présent au rassemblement. Interrogé sur les conditions qui pourraient permettre le retour sur leur terre des habitants du Kharabgah, il écarte toute idée de pouvoir direct de l'Azerbaïdjan sur l'administration du territoire. « C'est une règle génocidaire, a-t-il dit, « il devrait y avoir des garanties de sécurité internationale, autant que possible, avec les plus hauts mécanismes de protection internationale. Nous pouvons diriger un gouvernement et une vie souveraine là-bas. J'imagine qu'il faudrait la présence de soldats de la paix autorisés par un mandat du Conseil de sécurité, ce qui signifie que tous les membres du Conseil de sécurité de l'ONU devraient l'accepter. »

« L'Assemblée nationale d'Artsakh a formé une commission qui devrait discuter avec différents acteurs internationaux des conditions dans lesquelles nous envisageons la vision du retour », a ajouté Gegham Stepanyan, défenseur des droits de l'Homme d'Artsakh, « Pour le moment, je ne pense pas qu'il soit réaliste d'y retourner selon nos exigences, mais en même temps je suis sûr que nous n'avons pas le droit de clore le sujet ou de permettre aux acteurs internationaux de clore le sujet. »