Anne Genetet, députée sortante candidate à sa réélection

Arménie francophone
03.06.2022

Anne Genetet est la députée sortante de la onzième circonscription et candidate à sa réélection. Médecin de formation, titulaire d'un diplôme en journalisme et communication médicale, cette parisienne mère de quatre garçons vit à Singapour depuis 2007. Sans autre expérience politique que celle d'avoir rejoint la République en marche en 2016, elle est sélectionnée pour les élections législatives des Français de l'étranger qu'elle remporte largement avec 72% des suffrages en remplacement de Thierry Mariani, très marqué à droite, à qui l'on reproche un soutien actif aux régimes autoritaires de Syrie et d'Azerbaïdjan notamment.

Par Olivier Merlet

 

La mandature d'Anne Genetet sera marquée par la constitution d’un rapport de 215 propositions au gouvernement sur la fiscalité, la protection sociale, la simplification administrative et le retour en France des Français de l’étranger. Elle obtient à ce titre la révision d'une loi sur l'augmentation des cotisations des non-résidents.

Très proche de la partie asiatique de sa circonscription, elle plaide pour "l’émergence d’un nouveau modèle diplomatique davantage tourné vers l’Asie". Elle devait se rendre à Erevan en novembre dernier mais se fait "piéger", selon ses dires, en répondant à une invitation de l'ambassade d'Azerbaïdjan en France le 9 novembre 2021 qui provoque un tollé en Arménie aussi bien que dans la communauté arménienne de France. Elle doit renoncer à son voyage.

Elle regrette et s'en explique aujourd'hui.

 

Que représente pour vous la zone caucasienne ?

Je suis membre de la commission des Affaires étrangères. À ce titre, nous regardons le Caucase de très près. Plus au sud du Caucase, je suis également présidente du groupe d'amitié France-Iran, l'Iran qui a des relations très particulières avec les autres pays de cette zone et donc particulières de même pour la France et les intérêts français. On sait par ailleurs que le président de la République est très attentif à ce qui se passe en Arménie. Tous ces pays, même s'ils sont très différents les uns des autres, entretiennent des liens étroits de fonctionnement. Je parle de migration des populations par exemple, de risque terroriste pour d'autres, de développement, de ressources naturelles et d'échanges, soit avec le grand frère russe au nord, soit avec la Chine plus à l'est, soit encore avec l'Europe. Cette région est un nœud central dans les équilibres du monde entre ces trois puissances.

 

Vous parlez de la région comme d'un nœud, on pourrait au contraire y voir une fracture, au centre de laquelle, justement, se trouve l'Arménie.

Exactement, l'Arménie est au centre, avec des difficultés que l'on connaît, économiques, politiques… Enserrée dans un étau, sur le plan géopolitique, constitué de voisins particulièrement inamicaux, pour ne pas dire agressifs, surtout en ce moment, de la part de l'Azerbaïdjan. On a donc un pays qui connait des difficultés, qui essaye de s'en sortir, de se réformer et dont j'ai parfois l'impression qu'on cherche lui mettre régulièrement la tête sous l'eau. Sa diaspora essaye de le soutenir mais c'est très compliqué. Ce pays est important, il a une histoire chrétienne, ça ne doit pas nous échapper dans une région sous pression, notamment religieuse. Nous devons rester extrêmement proches de l'Arménie, dans une relation qui se veut coopérante et ferme à la fois.

Le président Emmanuel Macron a essayé d'avancer, d'être aux côtés des Arméniens dans des moments difficiles. À titre personnel, j'ai moi-même été sollicitée récemment pour soutenir le très beau projet de développement de l'université française en Arménie et j'ai écrit au président de la République pour lui demander de trouver les financements dont il a besoin pour changer de campus. Je trouve qu'à travers cette université qui se veut un carrefour pour la zone, à travers l'éducation, nous disposons d'un très bel outil de développement, et par suite, d'influence.

 

Votre venez d'évoquer les relations de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan. Justement, votre visite à l'ambassade d'Azerbaïdjan le 9 novembre dernier a été très mal perçue en Arménie et vous a coûté un déplacement qui devait s'effectuer les jours suivants. Que s'est-il passé exactement ?

Très clairement, Je l'ai très mal vécu d'autant plus que je n'ai participé à aucun, je ne dis bien aucun événement avec l'Azerbaïdjan depuis le début de mon mandat. Aucun, aucun. Et je peux vous dire qu'ils ont un chargé de communication extrêmement insistant, pour ne pas dire harcelant… Au tout début de mon mandat, j'ai participé à un déjeuner avec l'ambassadeur d'Azerbaïdjan qui d'ailleurs a été très surpris que j'exige de payer ma part, je ne voulais pas qu'il m'invite. Il était très étonné, disant "je ne comprends pas, vos collègues acceptent". J'ai répondu : "moi c'est différent, moi c'est non", j'ai refusé de me faire inviter. Du coup, il ne m'a plus parlé pendant au moins un an et demi.

 

Vos collègues ? Thierry Mariani ?

Je pense qu'il n'est pas le seul, d'autres collègues parmi la nouvelle assemblée l'avaient aussi accepté. Je suis moi aussi membre du groupe d'amitiés France Azerbaïdjan comme de tous les autres groupes d'amitiés de ma circonscription, c'est incontournable, mais ça ne veut pas dire que je cautionne. Les groupes d'amitiés représentent parfois des lobbys en faveur du pays qui concerne, il convient de rester extrêmement vigilant et pour ma part, je n'ai jamais rien accepté.

L'ambassade d'Azerbaïdjan me propose donc de participer à un événement. Son intitulé, "Le Karabakh à l’heure de la paix : espoir et défis. Quel rôle pour la France ?" me semble correct, je me dis que pour une fois, n'allant jamais chez eux et avant un voyage prévu en Arménie, ça me permettra d'équilibrer et d'éviter qu'ils ne m'agressent en disant que je favorise l'Arménie et ne m'occupe pas d'eux. Des Français sont résidants dans les deux pays, je dois donc faire attention. Et là, je confesse, j'assume, j'ai fait une erreur. Je n'ai pas regardé le calendrier… Parce que je m'occupe de quarante pays, parce que je suis sollicitée toute la journée et que je n'ai pas mis en rouge sur mon agenda que c'était une date capitale et douloureuse pour l'Arménie... Sur ce, j'arrive à l'ambassade, l'apéritif se passe, rien de particulier, puis le dîner commence, et là, douche froide, j'ai compris.

L'ambassadeur prend la parole et de suite, au lieu de faire référence à l'intitulé du rendez-vous auquel nous étions conviés "réflexion sur…", il déclare : "nous célébrons la fin de la guerre". Nous célébrons ! … J'aurais pu faire un esclandre devant tout le monde et sortir mais je ne l'ai pas fait, on voit bien toutefois sur les photos du diner que je n'étais pas du tout contente. Il nous a ensuite présenté des tas de photos et de documents, ce à quoi je lui ai répondu : "c'est votre version, il y a toujours deux faces dans une histoire, j'ai compris qu'il y a des échanges de prisonniers qui ne se font pas, vous retenez des prisonniers arméniens, j'aimerais savoir quelle solution vous allais y apporter ?"

J'ai été assez directe, dans un échange en aparté toutefois, j'ai refusé de prendre la parole devant tout le monde. À peine le dessert servi, je suis parti. Voilà ce qui s'est passé.

J'ai ensuite adressé un message à la chargée de communication en lui disant qu'elle m'avait trahi. Elle m'en a renvoyé plusieurs sur WhatsApp que je me suis bien gardé d'ouvrir et bien lui faiire comprendre que je ne voulais plus avoir affaire à elle. Je n'ai jamais répondu à ses relances, c'était clairement non et à partir de là, c'était terminé.

Je crois que j'aurais pu continuer à avoir une relation neutre et équilibrée, l'ambassadeur d'Azerbaïdjan savait très bien que j'avais des échanges avec l'Arménie et avec certains français d'origine arménienne en Arménie. J'ai un excellent correspondant en Arménie, Michel Davoudian, qui m'aide beaucoup et fait un travail remarquable. Cet ambassadeur sait très bien désormais que si je dois m'exprimer, ce ne sera pas en sa faveur. J'ai essayé d'être respectueuse pour ne pas envenimer la situation, et voilà comment il m'a répondu. C'est inacceptable, c'est une trahison.

Je comprends tout à fait que j'ai pu blesser, profondément, des Arméniens et des Français d'origine arménienne, malheureusement, je crois que je pourrais présenter toutes les excuses possibles, certains ne l'entendront pas et je le regrette.

 

Vous m'avez donc parlé de l'agressivité azerbaïdjanaise envers l'Arménie puis de la trahison dont vous-même avez été victime de la part de l'Azerbaïdjan, est-ce que l'Arménie est donc en droit d'attendre une position très favorable de votre part durant votre prochain mandat ?

Je pourrais parler de manière très ouverte, mais tout en restant prudente que je suis très contente d'avoir répondu favorablement à mes correspondants arméniens pour aider et intercéder comme je l'ai fait pour cette université française. Je pense que le travail approfondi dans l'ombre est souvent beaucoup plus efficace que de parler devant tout le monde. Les Français d'Arménie et les Français d'origine arménienne se rendront compte d'une manière ou d'une autre, de ce que j'accomplis discrètement. Plein de gens font des grandes déclarations publiques mais il n'y a rien derrière, je préfère mener de grandes activités. Mais oui, l'Arménie aura mon soutien, évidemment. Elle l'avait toujours, mais pour ne pas mettre en difficulté les équilibres délicats de la politique étrangère de la France, je n'ai pas pris de grandes positions publiques en sa faveur. Il y a eu par contre une résolution à l'Assemblée nationale que j'ai votée et qui montre clairement mon soutien. S'ils avaient un doute, mon soutien est là.

 

Des actes et des réalisations plutôt que des paroles. Avez-vous des projets précis concernant l'Arménie à mettre en place au cours du prochain mandat, si toutefois vous étiez élue ?

Il me paraît essentiel de comprendre que l'Arménie est un pays qui a besoin de se développer. Même en tant que député, je pense être beaucoup moins efficace que les Français d'origine arménienne qui sont excellemment organisés. Modestement, je dois reconnaître mes limites, mais si je peux, je le ferai, si on me sollicite, j'aiderai, je soutiendrai. La requête que j'avais adresse au président de la République pour le financement de l'université française est actuellement à l'étude au ministère des Affaires étrangères. S'il y a d'autres projets vecteurs de l'influence de la France dans cette région du monde, je les appuierai tous, que ce soit à travers l'école française d'Erevan, l'université, un soutien aux initiatives économiques, ou culturelles, peu importe, une aide sociale ou des bourses scolaires, il y a plein de moyens attractifs, je le ferai.

 

Le projet d'un institut français en Arménie a été officialisé au début de cette année, c'est une belle marque de considération de la part de la France, il existe toutefois ici une Alliance française qui se bat depuis près de 20 ans pour la promotion de la France et de la langue française. Vous parliez d'aider les alliances françaises de votre circonscription, avez-vous des intentions précises au sujet de celle d'Erevan ?

Les Alliances françaises qui me sollicitent, par exemple pour des fonds qu'elles n'ont pas, préparent un dossier qu'on appelle le STAFE, destiné au financement du système associatif français à l'étranger et donc j'appuie ce dossier, parfois même les aide à le monter. Ce peut être ce genre d'initiative. Il m'est arrivé aussi d'intervenir, avec plus ou moins de réussite, il faut être modeste. Le député ne peut pas tout faire ni tout obtenir, mais son rôle est de peser sur les décisions qui sont prises ou au contraire d'appuyer la demande de revenir sur les mauvaises. Parfois il peut y avoir de mauvaises décisions, comme la fermeture d'une alliance quelque part, le rôle du parlementaire dans ce cas, qu'il soit député ou sénateur, est d'aller voir le ministère des affaires étrangères et de peser sur la demande de revision d'une telle décision. Pour ce travail de soutien qui peut être mis en œuvre, j'ai besoin de gens dans le pays qui peuvent m'aider à comprendre et à voir ce qui se passe pour que je puisse ensuite peser auprès des cabinets ministériels.

 

Le coût très élevé des frais de scolarité et de la couverture sociale représentent un véritable fardeau pour les familles ou les individuels français à l'étranger. Que comptez-vous faire à ce sujet ?

S'agissant de nos écoles, la France est quasiment le seul pays au monde qui permet à ses ressortissants de bénéficier des bourses scolaires. Le budget qui leur est alloué n'a pas diminué, depuis que je suis en fonction, il reste aux alentours de cent millions d'euros par an, chaque année et pendant la crise Covid, nous avons remis sur la table cinquante millions supplémentaires pour pouvoir aider les familles dont l'un ou les deux parents avaient perdu leur emploi et se retrouvaient dans l'incapacité de payer. Une partie de cette enveloppe est même allée a des étudiants étrangers parce que nos écoles ont besoin de leurs élèves pour vivre, elles ont besoin de recettes. Tous les ans, des pays nous demande une enveloppe de bourses un peu supérieure à celle initialement prévu pour eux et à chaque fois, elle leur est accordée. On est toujours allé "au taquet" du montant de l'enveloppe des bourses.

Je pense par contre que le barème d'attribution présente deux problèmes : le montant annuel de ressources est trop bas, j'avais d'ailleurs déposé un amendement en ce sens pour le remonter. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian m'avait répondu en séance que ce n'était pas du ressort du législatif mais qu'il entendait néanmoins la demande. Il a été remonté. Néanmoins, dans un contexte d'inflation qui va toucher l'ensemble des pays, et ça concernera également l'Arménie, l'inflation imposera encore de le revoir.

Le deuxième écueil de ce barème c'est qu'il prend mal en compte certaines composantes du patrimoine que détiennent les demandeurs. Un certain nombre de familles possède un bien immobilier qui ne témoigne d'aucune forme de richesse mais qui représente au contraire un "patrimoine de précaution" pour pouvoir notamment préparer la retraite. Le projet du président de la république est de donner un nouveau statut fiscal de "résidence de repli" à ces biens immobiliers de précaution. Je souhaiterais qu'il ne soit pas pris en compte dans le barème d'attribution des bourses.

Les sénateurs avaient mené une étude il y a plusieurs années déjà montrant que le coût de la scolarité en France pour un élève français dans un lycée public se montait à 10700 euros par an. On ne le voit pas, il est intégralement absorbé par l'état et quand on arrive à l'étranger, on s'étonne de retrouver ces coûts-là, or ce sont les mêmes.

 

Alors justement, pourquoi les Français de l'étranger seraient-ils donc condamnés à payer la scolarité de leurs enfants ?

C'est très simple, quand on est à l'étranger, si on veut aller vers une gratuité comme en France, il faut compenser par des recettes, or, nous, à l'étranger, on ne participe pas directement à la richesse nationale. Le budget global de fonctionnement de nos 500 écoles françaises dans le monde, c'est un peu plus de 4 milliards d'euros par an. L'État ne peut pas se permettre de tout prendre à sa charge mais offre des outils à ceux qui peuvent payer et des bourses a ceux qui ne le peuvent pas. Et encore une fois, la France est le seul pays à le faire, il faut le saluer.

 

Pour conclure et en revenir à l'Arménie, comment soutiendrez-vous le processus de paix qui semble s'engager aujourd'hui ?

Je le ferai en pleine cohérence avec la politique du président de la république et de la nouvelle ministre des Affaires étrangères. J'attends d'ailleurs de lire leurs déclarations à ce sujet. Les droits du peuple arménien du Karabakh sont à respecter, c'est essentiel et je comprends que l'Azerbaïdjan viole un certain nombre de principes régulièrement, hélas.

Je sais avoir blessé les Arméniens, je le regrette infiniment, ce qui est fait est fait, c'est difficile de revenir en arrière. Cela a complètement modifié la manière dont je voyais les relations avec l'Azerbaïdjan. Il faut laisser le temps au temps et si certains ne souhaitent pas ma venue, je le regretterai mais je le respecterai, je respecterai les attentes des Français en Arménie. C'est eux qui savent ce qui se passe, c'est eux qui savent ce qui est bon pour l'Arménie, je le respecterai.