Christianophobie : les chrétiens d’Asie vont-ils devenir les nouveaux chrétiens d’Orient ?

Opinions
04.05.2019

Alors qu’elles célébraient la messe de Pâques, trois églises ont été la cible d’attentats au Sri Lanka. Au même moment, plusieurs hôtels subissaient des attaques terroristes. Le nombre provisoire de victimes s’élèverait à 310 morts et plus de 500 blessés.

Le Corrier d'Erevan reprend l'édito de Valérie Toranian, directrice de la Revue des Deux Mondes

Des chrétiens sont morts parce qu’ils étaient chrétiens dans un État à majorité bouddhiste (61%), où vivent également des hindouistes (12%), des musulmans (9%) et des chrétiens (7%). Le Sri Lanka, anciennement île de Ceylan, paradis aux plages de cocotiers du sous-continent indien, a vécu durant trente ans un conflit sanglant qui opposait l’armée régulière aux forces indépendantistes tamoules. Depuis dix ans, le pays renaissait économiquement, en grande partie grâce au retour des touristes. Les islamistes, qui ont frappé dimanche les églises et les hôtels, voulaient semer les germes de la haine, isoler et déstabiliser en profondeur le pays.

« 1 chrétien sur 9 est fortement persécuté dans le monde, soit 245 millions au total. »

Le Sri Lanka, en état de choc, soigne ses plaies tout en cherchant les coupables. Les services de renseignement avaient été avertis il y a une dizaine de jours de l’imminence d’attaques en provenance du mouvement islamiste local, le National Thowheed Jamaath (NTJ). D’ores et déjà, le gouvernement a procédé à plusieurs arrestations. L’enquête est en cours.

Dans son dernier index mondial de persécutions des chrétiens, l’associations protestante Portes ouvertes a publié en janvier 2019 des chiffres dont on parle trop peu : 1 chrétien sur 9 est fortement persécuté dans le monde, soit 245 millions au total. 4305 chrétiens tués (dont 2000 au Nigéria), 3150 chrétiens détenus, 1847 églises ciblées. Le nombre de chrétiens tués en raison de leur foi a augmenté de 40% et le nombre d’églises ciblées (vandalisées, fermées…) a plus que doublé entre 2018 et 2019.

Onze pays détiennent le triste record des atteintes extrêmes (au sein de la vie privée, familiale, sociale, civile et ecclésiale) : la Corée du Nord (où il est interdit d’être chrétien), l’Afghanistan, la Somalie, le Soudan, le Pakistan, l’Érythrée, la Libye, l’Irak, le Yémen, l’Iran, l’Inde. La défaite militaire de Daech en Syrie/Irak a grandement éloigné le danger. Mais le discours anti-chrétien est loin d’avoir disparu. Selon l’ONG Portes Ouvertes, « la défaite militaire de l’État islamique en Irak n’a pas endigué la diffusion de discours de haine antichrétienne au sein de mosquées sunnites radicalisées, de même que dans les milieux chiites ». Et cette vision continue d’être exportée dans le monde…

Dimanche 21 avril, l’église Saint-Paul de Mossoul en Irak célébrait la messe de Pâques, dans un quartier sécurisé. Aucune des autres églises de la ville, pillées, incendiées, effondrées, n’a pu être restaurée. Depuis 2014, la guerre et la terreur islamiste ont vidé cette terre qui abritait les chrétiens d’Orient depuis les origines du christianisme. L’avenir d’un chrétien d’Orient, c’est souvent être un chrétien d’Orient mort. La plupart des rescapés ont préféré l’exil. Qui les blâmerait ?

L’église Saint-Paul renaît en ce jour de célébration de la résurrection, mais elle est vide. Trente-cinq fidèles assistaient à l’office. La lente disparition des chrétiens d’Orient se poursuit. Les Nazis rêvaient d’une terre expurgée des Juifs. Les islamistes d’une terre expurgée de présence chrétienne, juive, sans parler des yézidis, considérés comme « sataniques », qui ont subi les foudres de l’enfer de la part des djihadistes.

L’histoire ne date pas d’hier. Contrairement à ce qu’affirment certains islamologues, l’islam n’est pas cette religion de paix et cette terre de bienveillance qui accueillait et protégeait les minorités religieuses. Même si certaines périodes ont été plus paisibles et harmonieuses que d’autres. Sous l’empire ottoman, les chrétiens, qui n’étaient pas des « minorités » mais les habitants historiques des lieux comme par exemple les Arméniens, étaient tolérés et protégés à condition de se soumettre à leur statut de dhimmi, citoyen inférieur, en aucun cas l’égal du citoyen musulman, notamment devant le tribunal. Et ils devenaient les boucs-émissaires de toutes les crises sociales et politiques.

« Tout comme les Arméniens en 1915, le patrimoine culturel des Assyro-Chaldéens, leurs églises, leurs bibliothèques, leurs écoles furent saccagées. La purge fut ethnique, religieuse, culturelle, civilisationnelle. »

Le 24 avril, les Arméniens du monde entier commémorent leur génocide, le premier du siècle, perpétré par la Turquie. Un million et demi de morts. Un génocide planifié par le gouvernement Jeune Turc qui rêve d’une nation racialement homogène. Et qui s’appuie sur la haine des « infidèles ». Les massacres seront légitimés et justifiés par les imams dans les mosquées. Tout ce qui est non-turc et non musulman devra disparaître. Certains, notamment des enfants, devront leur survie à une conversion à l’islam. Les Arméniens paieront le plus lourd tribut. Mais d’autres aussi, tels les Grecs du Pont et les Assyro-chaldéens, seront violemment persécutés. 250 000 victimes parmi les Assyriens, Chaldéens et Syriaques, peuples dépositaires de l’araméen, langue de Jésus. Beaucoup des rescapés trouveront refuge en Irak… où cent ans plus tard ils seront de nouveau persécutés.

Tout comme les Arméniens en 1915, le patrimoine culturel des Assyro-Chaldéens, leurs églises, leurs bibliothèques, leurs écoles furent saccagées. La purge fut ethnique, religieuse, culturelle, civilisationnelle.

L’historien Joseph Yacoub demande dans une tribune au Figaro le 22 avril une reconnaissance par la France du génocide assyro-chaldéen de 1915. Ce geste fort ne manquerait pas d’hystériser un peu plus Erdogan, déjà très remonté contre la France et contre tous ceux qui osent parler d’un génocide contre les Arméniens. Le négationnisme de l’État turc, son incapacité à regarder son histoire et à reconnaître ses crimes, sont la matrice de l’idéologie nationaliste, fondée sur les cadavres de plusieurs peuples.

« La reconnaissance du génocide assyro-chaldéen n’est pas simplement une décision symbolique et historique qui honorerait la France (…) C’est aussi transmettre à l’ensemble des chrétiens d’Orient qui n’ont jamais cessé d’être persécutés, un message fort. »

Depuis cent ans, tous les régimes successifs ont refusé d’entreprendre le difficile mais nécessaire chemin vers la vérité. Fort heureusement, la société civile turque effectue, elle, depuis presque vingt ans, un formidable travail de mémoire. Des intellectuels, journalistes, universitaires, démocrates, veulent lever les tabous. Nombre d’entre eux, hélas, sont persécutés par le pouvoir. Sous les verrous, exilés, pourchassés.

La reconnaissance du génocide assyro-chaldéen n’est pas simplement une décision symbolique et historique qui honorerait la France. Elle n’est pas qu’une restitution aux Assyro-Chaldéens de leur histoire et de leur mémoire. C’est aussi transmettre à l’ensemble des chrétiens d’Orient qui n’ont jamais cessé d’être persécutés, un message fort. L’avenir de cette région ne peut se résumer à la soumission et à la résignation à un islam de conquête, ou, plus pernicieux, à une discrimination en « étau » des chrétiens jusqu’à ce qu’ils partent. L’avenir de toutes les populations dans la région doit s’appuyer sur une vraie égalité de droits entre les différentes composantes et communautés et sur le respect des droits de l’homme.

« Les chrétiens du Sri Lanka, d’Asie, d’Afrique, ne doivent pas être abandonnés. Ils ne doivent pas devenir les prochains chrétiens d’Orient. »

Il y a une semaine nous regardions, choqués, abasourdis, les larmes aux yeux, s’effondrer la flèche de la cathédrale Notre-Dame livrée aux flammes. Notre-Dame sera rebâtie. Il faut songer aussi à d’autres chantiers. À d’autres solidarités.

Les chrétiens d’Orient doivent pouvoir vivre et même revenir sur cette terre qui est aussi la leur. Ils doivent être protégés des djihadistes, des fondamentalistes et des persécuteurs. Qui, rappelons-le, persécutent aussi les musulmans, premières victimes de l’islamisme dans le monde. Les chrétiens du Sri Lanka, d’Asie, d’Afrique, ne doivent pas être abandonnés. Ils ne doivent pas devenir les prochains chrétiens d’Orient.