Une délégation parlementaire française face à la réalité arménienne

Opinions
18.11.2021

Une délégation parlementaire était en Arménie depuis deux jours lorsque de violents combats ont éclaté sur le territoire même de la République d’Arménie. Organisé par la Chambre de Commerce et d'Industrie franco-arménienne, le déplacement de cette délégation - Camille Galliard-Minier, Julien Ravier et Jacques Marilossian - était avant tout à visée économique, mais il a pris une envergure supplémentaire dans le contexte présent.

Par Olivier Merlet

Une coopération économique qui monte

Rendez-vous protocolaires et rencontres de terrain avec des entrepreneurs français et arméniens étaient bien sûr au programme, mais la délégation avait tenu à dégager un peu de temps pour le consacrer à une prise de contact culturelle et mémorielle destinée à « s'imprégner, mieux comprendre le pays et s'apercevoir que l'Arménie ce n'est pas qu'Erevan ».

C'est sur une conférence organisée par l'Université française en Arménie (UFAR) que s'est ouvert l'agenda officiel des députés. Intervenant à tour de rôle sur le thème "Mémoire et transmission', les trois députés français ont répondu aux questions des étudiants avant d'aller se recueillir au cimetière d'Erablur sur les tombes de quatre des onze jeunes de l'UFAR morts au front l'année dernière.

Le volet politique du voyage comprenait plusieurs rencontres avec des représentants du gouvernement arménien dont le haut-commissaire à la diaspora, le ministre du travail et des affaires sociales, le vice-ministre de l'économie et celui des hautes technologies. Les parlementaires français ont retenu plusieurs objectifs et contraintes: le désenclavement de l'Arménie tout d'abord, en termes de transports -préoccupation majeure du ministre de l'Économie- la construction de lignes ferroviaires vers la mer Noire ou la Russie afin d'augmenter les volumes, raccourcir les délais et diminuer les couts d'un trafic qui demeure aujourd'hui essentiellement routier; appel à la diaspora, au travers d'un programme visant à davantage réorienter l'aide humanitaire vers des axes plus économiques et encourager la participation, même temporaire, de ses ressortissants aux actions de développement sur le terrain, en Arménie.

Mais c'est bien évidemment auprès des entreprises et de leurs dirigeants que la délégation entendait évaluer l'état de la coopération économique franco-arménienne et caractériser l'accompagnement politique propice à sa promotion.

« L'intérêt de ce genre d'échanges est de nous permettre de comprendre comment se déroule réellement l'activité économique au quotidien. Quelles sont les difficultés, les besoins ? Quelles sont les réalités profondes de l'Arménie, à la fois sur le côté technique et sur les affaires au quotidien, bref, comment l'aider à prospérer par le développement de ses entreprises, » explique Jacques Marilossian, député des Hauts-de-Seine. Point d'orgue de ces rencontres, la visite au show-room Renault et la remise de la médaille de l'Assemblée Nationale, sur proposition du président de la CCI France-Arménie à Karen Shakhmuradian, propriétaire du groupe Renault en Arménie, pour sa contribution au développement du commerce extérieur français. C'est le seul homme d'affaires à avoir reçu cette distinction en Arménie.

Dans la soirée, les membres de la Chambre de commerce et d'industrie franco-arménienne avaient convié les députés à un diner. Veolia, Carrefour, ou ACBA-Crédit Agricole, Amundi, Bureau Veritas, Arterail et encore Pernod Ricard, représentants des grandes entreprises françaises étaient tous présents, mais également leurs confrères arméniens dont notamment le groupe Galaxy, qui vient d'obtenir pour l'Arménie la franchise des boulangeries "Paul". 

 

Prise de conscience

L'attaque d'envergure lancée le 16 novembre par les forces armées azerbaïdjanaises sur le Nord-Est du territoire souverain de la République d'Arménie a surpris tout le monde et replacé la visite dans une autre dimension. « Nous ne cessions de recevoir des alertes [NDLR : quant à la sécurité de l'Arménie] lors de nos rencontres avec les ministres, dont la concrétisation survient précisément pendant notre séjour. L'alerte qui nous a été donnée, nous voyons malheureusement bien maintenant à travers les événements qui se sont passés aujourd'hui que ce n'étaient pas que des paroles. » déclare Camille Galliard-Minier, députée de l'Isère, visiblement troublée.

Julien Ravier, élu de la première circonscription de Marseille, poursuit : « De France, à travers le dialogue que nous avons avec les associations et la diaspora on percevait un peu ce que nous ont expliqué les ministres mais on était loin de sentir de façon aussi prégnante, dans les médias ou nos relations politiques avec les autorités, qu'aujourd'hui. Clairement, c'est le territoire souverain de la république d'Arménie qui est menacée. Le premier enseignement de cette visite qui se traduit directement aujourd'hui dans les faits, c'est que l'Arménie et les Arméniens ne se sont pas en sécurité. Vous prenez conscience de la réalité de la situation ici et de la volonté expansionniste du panturquisme au XXIe siècle. »

Vu d'Arménie, la prise de conscience semble tardive. Elle a au moins le mérite d'enfin survenir. De quoi sera-t-elle suivie ? Interrogés sur le décalage entre le discours et les actions de la France et de la communauté internationale depuis un an, sur le sentiment d'abandon que partagent de plus en plus d'Arméniens, les députés français adressent deux types de réponse.

Celle de Jacques Marilossian, député des Hauts-de-Seine et Président du Groupe d’amitié France-Arménie est très "politique" : « Je ne peux pas laisser dire que la France abandonne l'Arménie. Nikol Pashinian était en France récemment, je l'ai rencontré à l'Assemblée nationale, sa première expression a été de remercier la France pour l'action économique, diplomatique et humanitaire sans précédent, et unique par rapport au reste de la communauté internationale, depuis un an. Ici, nous avons passé du temps avec les entreprises de la Chambre de commerce et d'industrie, nous avons rencontré les ministres de l'économie, des affaires sociales, des hautes technologies nous avons une liste de projets de coopération avec la France, tout est en route. La dimension "sécurité militaire" ne dépend ni des entreprises, ni des députés, mais fait appel à d'autres paramètres que nous ne maîtrisons pas. »

Julien Ravier s'implique : « Le ressenti que j'ai est que l'Arménie et la diaspora attendaient beaucoup plus de la France. Ils attendaient une intervention militaire. […] Personnellement, je regrette clairement que mon pays ne puisse pas, ou n'ait pas la capacité, d'intervenir de façon militaire et défensive pour aider l'Arménie. Les ministres et les différentes personnalités que nous avons vu attendent cela de la France. […]

 Quand on est dans le cadre d'une agression au Karabagh, c'est le groupe de Minsk qui doit normalement prendre la main, je pense que la France a été active au sein de ce groupe mais il a montré son incapacité à régler le conflit et c'est finalement la Russie qui s'en est chargé. Là, maintenant, nous sommes face à une agression de la république d'Arménie, un ami, qui certes fait partie d'une autre alliance de défense mais reste un pays avec lequel nous sommes liés d'une amitié séculaire qu'il convient aujourd'hui de respecter et de faire respecter.

J'aimerais que la France condamne fermement ce qui est en train de se passer et appelle le partenaire russe -on peut aussi l'appeler partenaire- à agir, enfin, que l'on sensibilise l'ensemble de la communauté internationale car si nous sommes tous d'accord rien ne nous empêche de mettre en place une force d'interposition. Tout est question de stratégies d'action par alliances, mais si toutes les alliances sont à peu près d'accord, ou en tout cas en grande majorité, rien ne nous empêche de mettre en place une force d'interposition, de maintenir la paix et éviter qu'il y ait une guerre, car ce qui risque de se jouer, c'est une véritable guerre. Si la Russie rentre en guerre aux côtés de l'Arménie contre l'Azerbaïdjan, nous allons avoir une guerre à nos portes avec un grand nombre de morts. »

Dans un communiqué de presse aux entêtes de l'Assemblée nationale française, le député de la première circonscription de Marseille, renouvelle officiellement son soutien :

« 10 soldats tués, plusieurs prisonniers et deux positions militaires arméniennes perdues dans le sud du pays.

Depuis l’Arménie où il est actuellement en mission parlementaire avec le groupe France-Arménie, Julien Ravier souhaite renouveler tout son soutien au peuple arménien et à sa diaspora.

Julien Ravier condamne fermement l’agression de l’Azerbaïdjan. Un an après le conflit dans le Haut-Karabakh, l’Azerbaïdjan n’a pas cessé ses provocations et a franchi les limites ce week-end.

Le Premier ministre Nikol Pashinian a révélé une intrusion de l’armée azerbaïdjanaise sur le territoire arménien. C’est une nouvelle agression inacceptable, en rupture totale du cessez-le-feu négocié il y a un an. Désormais, ce n’est plus au Haut-Karabakh que l’Azerbaïdjan attaque les Arméniens, c’est au sein même du territoire de la République d’Arménie. L’Azerbaïdjan viole l’intégrité territoriale arménienne pour se créer un corridor.

Julien Ravier appelle la France, la Russie et toute la communauté internationale à condamner fermement les agissements azerbaïdjanais et à défendre l’Arménie pour stopper le projet d’expansion de l’Azerbaïdjan soutenu par la Turquie. »